
Face à l’inquiétude qui règne déjà au sein des populations de la sous région depuis l’annonce de la CEDEAO de mettre leur force en attente, les réactions continuent de faire remarquer. C’est le cas du Dr Oussou Rémi Kouamé, enseignant-chercheur à l’Université Alassane Ouattara, au département de Sociologie et Anthropologie, également expert en Gestion des conflits. C’était dans le cadre dune interview qu’il nous a accordée, le vendredi 11 août 2023, au sein de l’université Claire fontaine 2 de Yopougon.
Afrikinfos : Quelle est votre position face à la tentative de coup d’Etat qui a lieu au Niger ?
Dr Oussou : Merci beaucoup de me poser la question. Je pense qu’un coup d’État, c’est déjà condamnable à la base. Mais je pense que vu le contexte, ce qu’il faut faire, c’est de chercher à comprendre les motivations profondes de ceux qui ont mené cette action.
Surtout, le ressenti de la population, parce que, au final, même si on doit prendre des décisions militaires ou politiques, c’est pour le bien-être de cette population. Je le condamne mais en tant que sociologue et expert en gestion des conflits, il faut aller au-delà de ce qui apparaît.
Qu’est-ce qui pourrait expliquer ces différents coups d’Etat sur le continent ?
C’est un peu compliqué parce que je ne dirai pas que l’Afrique a une tradition de coup d’Etat. Non ! Mais, en Afrique, il y a grand problème de gouvernance. Sinon, comment pouvez-vous comprendre que les militaires qui, normalement passent leur vie dans une caserne, veuillent s’immiscer dans la vie politique ou bien dans la vie civile ?
Cela s’explique tout simplement par un problème de gouvernance. C’est-à-dire qu’il y a un certain nombre de décisions que les gouvernants n’arrivent pas à prendre et les militaires pensent qu’ils sont les mieux placés pour pouvoir les prendre.
Le jeudi 10 août 2023, s’est tenu un Sommet de la Cedeao, à Abuja, au Nigéria. L’organisation sous régionale a décidé d’activer sa force militaire en attente. Comment analysez-vous cette décision ?
Cette question est très pertinente parce que, depuis que le coup d’Etat a commencé, il y a des avis qui sont contradictoires. Le nigériens qui se disent prêts à riposter à une possible attaque, et de l’autre côté, la Cedeao qui tient un discours dur…
Je pense que dans toute situation de conflit, il faut veiller à ce que ce conflit n’escalade. Parce qu’en tenant ces discours, c’est comme si chaque partie se retranchait sur ce qu’elle croit être vrai.
Alors que dans tout conflit, il y a toujours des motus vivendi, il y a des points communs qu’on peut exploiter. Donc, si la Cedeao a décidé de pré-positionner ses forces militaires c’est qu’elle pense que ce qu’il serait intéressant de faire, c’est l’attaque militaire. Mais moi je ne suis pas pour ça.
Dans le cas où il y aurait cette intervention militaire. Quels sont les paramètres à prendre en compte ?
Je pense que, si en cas de denier recours, parce que ça doit être vraiment en dernier recours, l’intervention militaire devrait être privilégiée, il faut déjà prendre un certain nombre de précautions. C’est-à-dire faire en sorte que les populations ne subissent pas les coups. Parce que le problème est que le combat ne se limitera pas seulement sur un terrain militaire.
La population est là, il y a les hôpitaux, les infrastructures, qui, généralement sont les éléments sur lesquels les uns s’appuient pour faire mal aux autres. Ce sont des arguments de guerre qui sont typiquement connus. Pour éviter ce genre de drame, je pense que l’intervention militaire doit être vraiment en dernier recours. Il faut qu’on négocie. Il faut qu’on négocie. Il faut qu’on négocie.
Est-ce qu’il n’y a pas moyens de faire en sorte de restaurer le président et en même travailler avec ces militaires ? Ce sont des solutions pacifiques auxquelles je me soumets. Je ne suis pas militaire, mais je pense qu’avant tout, au final, c’est l’intérêt général de la population qui doit primer.
Nous savons également que le Niger est un pays qui abrite assez de ressortissants africains, notamment des Ivoiriens. Quels sont les risques de cette possible intervention armée ?
Ça aussi c’est un autre problème qu’il faudrait essayer de régler avant toute intervention militaire si cela s’avérait nécessaire. Par exemple, je sais qu’il y a une grande communauté de ressortissants ivoiriens au Niger, et si la Côte d’Ivoire devait être en première ligne pour ces attaques, je pense que ce ne sera pas bon pour nos compatriotes. Ça pourrait encore créer d’autres problèmes et peut être même des incidents diplomatiques entre ce pays et la Côte d’Ivoire.
Le 6 août dernier, le président ivoirien, Alassane Ouattara a tenu un discours à la veille de la commémoration du 63e indépendance de la Côte d’Ivoire. A cette occasion, il a condamné cette tentative de coup d’Etat et a marqué son soutien à la Cedeao. Votre réaction ?
Le président Alassane Ouattara, dans son rôle de leader des pays de la sous-région, c’était normal qu’il condamne ce coup d’Etat. Je ne vois pas qui pourrait soutenir un coup d’État qui a eu lieu dans un État voisin, un État ami, un État que nous connaissons très bien.
Je pense donc que le président a joué son rôle. Et il continue de bien le jouer, mais, s’il doit être en première ligne pour une attaque, je pense que ce ne serait pas la meilleure décision.
Il faut qu’on sache raison gardée, prendre les pour et les contre et décider finalement que mieux vaut une mauvaise solution diplomatique qu’une solution de guerre. Ça, je pense que, quel que soit notre obédience politique, il est toujours mieux de privilégier le dialogue, la solution diplomatique que la solution guerrière ou militaire.
Il y a eu un coup d’État au Mali, en Guinée et au Burkina Faso. Et à chaque fois, la Cedeao a condamné, mais pas envisager d’avoir recours à l’option militaire. Qu’est-ce qui explique ce cas du Niger ?
Cette question est également très importante. L’année 2020 seulement a vu deux coups d’Etat au Mali et au Burkina Faso. La Cedeao a certes condamné mais n’a pas pris la résolution d’intervenir de manière militaire.
On s’étonne que pour le Niger, qui est un pays carrément, je dirai ‘insignifiant’ du point de vue du classement mondiale des pays pauvres, que la communauté internationale fasse tant de bruits et qu’on propose même d’intervenir politiquement et tout. La raison est devenue beaucoup plus géopolitique…
Géopolitique pour dire qu’on ne recherche pas forcément l’intérêt du peuple. On sait que le Niger abrite d’importants gisements d’uranium. Et l’uranium peut servir à faire beaucoup de choses, surtout le nucléaire, et à produire de l’électricité… je ne serai pas étonné que la Cedeao suive la position de la France.
Parce que, dès que le coup d’Etat a eu lieu, Emmanuel Macron n’était pas en France mais il a tour de suite condamné. Je suis convaincu que c’est parce que la France prend les devants que la Cedeao est obligé d’agir en fait. Et c’est ce qui est le véritable enjeu de cette crise.
Que proposez-vous face à tout ce qui est en train se passer ?
Lorsque je voyais des images de ce qui se passe au Niger, je voyais des drapeaux brandis pour dire « la France dehors ». J’ai l’impression que ce n’est pas trop le coup d’Etat qui les intéresse mais chercher un prétexte pour faire partir la France.
Et ça, je pense que les français l’ont compris. Mais pourquoi on veut régler deux choses à la fois ? Pourquoi ne pas régler ce problème de mésalliance et on veut tout mettre sur le compte du coup d’Etat ? J’ai juste l’impression qu’on veut prendre un problème pour le substituer à un autre.
Tout le monde veut se concentrer sur le coup d’Etat et faire croire que c’est le président Bazoum qu’il faut restaurer, mais dans le fond, il y a un autre problème qu’il faut chercher à résoudre. Parce que, même si on rétabli le président dans son rôle, est-ce que ça pourrait résoudre l’autre problème qui est celui des nigériens qui ne veulent plus de la France sur leur territoire ?
Ma solution, c’est qu’il faut qu’on réfléchisse bien. Parce qu’on a vu ce qui est s’est passé en Libye. La France et les États-Unis se sont mis ensemble pour faire partir Kadhafi, aujourd’hui qu’est-ce que ce pays est devenu ? Ce sont des groupuscules armées qui gèrent des régions. On se pose aujourd’hui la question de savoir combien de temps va mettre ce pays pour se relever et connaître son niveau d’antan lorsque leur leader était là.
C’est pour dire qu’il y a déjà un précédent. Il faut qu’on réfléchisse et qu’on prenne en compte le pour et le contre avant d’agir. Mais j’insiste encore que si la Cedeao doit agir militairement, il faut vraiment que ce soit en dernier recours.
Abou ZEID